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François Guillemot : « L’urgence démocratique » – Le regard de la dissidence sur la crise sino-vietnamienne

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Atelier de réflexion : les enjeux de la crise sino-vietnamienne.

Samedi 24 mai 2014. ENS de Lyon

★ ★ ★

« L’urgence démocratique ».

Le regard de la dissidence sur la crise sino-vietnamienne

Par François Guillemot

Institut d’Asie Orientale

UMR 5062 – CNRS – Ecole normale supérieure de Lyon

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Introduction

[DIAPO 1] Les manifestations antichinoises de ces deux dernières semaines ont présenté un double visage, voire un triple visage qui, globalement, propose deux options différentes pour résoudre la crise actuelle. Le premier visage fut illustré par la protestation officielle du gouvernement de la République Socialiste du Viêt-Nam (RSVN) face à l’implantation de la plateforme HD 981 dans les eaux contestées des Paracels. Il fut relayé largement par la presse d’État mais aussi sur les réseaux de communications non officiels de l’État-Parti (par exemple les sites dédiés aux plus hautes autorités de l’État et les blogs de soutien au régime) et par les organisations mobilisées pour manifester dans la rue leur soutien à la politique gouvernementale. Le second visage revêtit la forme d’une contestation non officielle dont les mots d’ordre stigmatisaient autant l’expansionnisme chinois que le régime autoritaire vietnamien. C’est ce dernier aspect que nous proposons de survoler à travers les différentes voix de la dissidence qui se sont exprimées tout au long de ces deux semaines agitées. Enfin, le troisième visage portait pour ainsi dire la marque des « sans voix » les ouvriers de Dong Nai, de Binh Duong, de Ha Tinh, les étudiants de Can Tho, les Catholiques de Vinh, les bouddhistes Hoa Hao, les petites gens du régime qui se exprimés pacifiquement ou violemment à travers un nationalisme antichinois fait d’un bloc.

Je commencerai cette courte communication par identifier les principales voix dissidentes, incarnées par des leaders d’opinion aujourd’hui relativement bien connus, qui se sont fait distinguer sur le sujet. Quels furent leurs mots d’ordre, que contenaient leurs déclaration politiques, quelles types d’action préconisèrent-ils ? Je poursuivrai par les solutions envisagées pour sortir de l’impasse dans laquelle semble se trouver le gouvernement vietnamien actuel dont la tâche, il faut le souligner, est extrêmement difficile. Et qui pour l’heure, essentiellement par la voix de Nguyen Tan Dung et de ses deux jeunes vice-Premier ministres (Pham Binh Minh et Vu Duc Dam), parvient à maintenir le cap.

[DIAPO 2 & 3] Quelles voix se sont fait entendre au sein de la dissidence et pour dire quoi ? Les principales têtes dures de la dissidence vietnamienne se sont exprimées sur la crise actuelle. Les critiques émanent de différentes générations de contestataires incarnées aussi bien par le Dr Nguyen Dan Que, l’avocat exilé Cu Huy Ha Vu, que par la jeune génération des Pham Chi Dung, Pham Thanh Nghien ou Nguyen Tien Trung. Notons que tous sont d’anciens prisonniers de conscience. Des déclarations politiques ont été produites par un certain nombre d’organisations issues de la société civile, laïques et religieuses (bouddhistes et catholiques) à l’intérieur du pays, ou par des organisations politiques anticommunistes ou non communistes résidant à l’étranger (Viet Tan, Tan Dai Viet). Ces différentes déclarations et analyses, qui fondent le corpus de cette réflexion, permettent de rappeler rapidement ce qui préoccupe la dissidence.

[DIAPO 4] Avant cela, il convient d’évoquer en deux mots la politique actuelle du gouvernement :

  • Rester ferme sur la revendication de souveraineté ;
  • Ne pas envoyer de bâtiments militaires en Mer de Chine méridionale ;
  • Porter l’affaire au niveau régional (ASEAN) et international (ONU) ;
  • Maintenir les discussions au niveau bilatéral ;
  • Réprimer toute manifestation intérieure « illégale » mais promouvoir l’activisme à l’étranger ;
  • Rassurer les compagnies étrangères et et prévoir des dédommagements pour les compagnies attaquées.

Questions sans réponses

  • Le reflux de l’histoire

[DIAPO 5] Le premier aspect historique qui a ressurgi des affres de l’histoire du Viêt-Nam en guerre est la “Note diplomatique” de Pham Van Dong adressée à ses homologues chinois le 14 septembre 1958. Il s’agit d’une réponse banale mais affirmative validant le tracé maritime de la Chine maoïste sur la mer méridionale. Cette Note a suscité moult polémiques jusqu’à aujourd’hui [24 mai]. Les plus farouches opposants au régime la brandissent pour dire que les communistes vietnamiens ont vendu à la Chine cet espace maritime depuis des décennies. Un argument de poids qui a finalement été repris par la Chine elle-même dans sa joute verbale avec Hanoi. On parle d’une facture de 870 milliards de dollars pour solder la part de la dette de la guerre financée par la Chine contre la propriété des îlots de la mer de Chine méridionale. Ceux qui disent que ce texte n’a aucune valeur juridique s’appuient sur le fait que les Paracels dépendaient de la République du Viêt-Nam (Viêt-Nam du Sud pendant la guerre) déchue et non de la RDVN (Viêt-Nam du Nord) soutenue à l’époque par la Chine populaire. Enfin, certains font l’exégèse du texte pour contester toute allégeance à la Chine, minimisant ainsi la valeur du document. Le tonitruant député Duong Trung Quoc en appelait dernièrement à une clarification par l’Assemblée nationale et le gouvernement vietnamien a récusé officiellement le 24 mai toute valeur juridique à ce document.

  • Violences imprévisibles ?

La seconde grande thématique qui a traversé les analyses des dissidents est celle du déferlement de violence. De nombreuses questions restent aujourd’hui sans réponses sur le rôle de la police et sur l’intervention très tardive des pompiers. Un certain laisser-faire, je devrais dire laisser-détruire, a été constaté par de nombreux blogueurs. Cela rappelle nos casseurs d’ici et les violences en marge de manifestations pacifiques. Comme c’est un fait rare (en terme d’images et de médiatisation) mais peut-être pas si nouveau qu’il n’y paraît en RSVN, chacun y va de son hypothèse : la police ou ses hommes de main (côn đồ), les agents secrets (tình báo) de la Sécurité publique seraient derrière les événements dans le but de discréditer le mouvement dans son ensemble et permettre ainsi l’élargissement de la répression ; d’autres, comme l’avocat Nguyen Van Dai, pensent que des espions et agents chinois ont organisé les choses dans le but de frapper sans distinction les intérêts économiques taïwanais, japonais ou sud-coréens des zones industrielles de Binh Duong ou de Dong Nai. De façon plus prosaïque, on peut penser que la violence populaire impliquait des classes marginales prêtes à en découdre avec le « Chinois », incarnation d’une exploitation sans vergogne. Plus terrible encore furent les violences raciales lors de l’expédition punitive organisée contre des ouvriers chinois dans le complexe Formosa de Vung Ang dans la province de Ha Tinh. Il y a eu mort d’hommes, lynchages et sauvagerie manifeste si l’on croit les photos prises par le jeune net-citoyen photographe Nguyen Lan Thang. A la suite du rapatriement d’urgence d’un millier d’ouvriers chinois par le port de Vung Ang, la population locale rejetait la faute sur le laxisme des autorités provinciales qui fermeraient les yeux sur l’implantation de travailleurs chinois illégaux dans la province. Quoi qu’il en soit l’image de ses deux flambées de violence fut désastreuse pour le Viêt-Nam.

Les solutions préconisées

[DIAPO 6] Je voudrais ici mettre l’accent sur trois points clés développés par la dissidence :

1 – La survie passe par un changement intérieur radical (non violent et/ou violent) ;

2 – Les nouvelles alliances économiques, militaires, diplomatiques (le repositionnement du Viêt-Nam) ;

3 – La poursuite des manifestations pacifiques à l’intérieur du pays.

  • Démocratiser en urgence

[DIAPO 7 : Nguyen Dan Que] La parole du Dr Nguyen Dan Que, un dissident de longue date, est sans ambiguïtés. Comme beaucoup d’autres, il propose une marche salvatrice vers la démocratie. Selon lui, seule la démocratisation du régime permettra de résoudre les défis multiples du Viêt-Nam. Son analyse est sans pitié pour le régime communiste et porte sur un constat d’échec : « le pays est en faillite à cause de l’orientation générale prise où l’on passe d’une erreur à une autre, et de la gestion laxiste du fléau national que représente la corruption endémique ». Cette dégradation subie depuis des décennies est, selon lui, due « à la dictature communiste ». Il poursuit : « Il n’y a que le système démocratique qui pourra résoudre les impasses politiques, économiques, éducatives et culturelles, sociales actuelles du Viêt-Nam ». Sur le plan international, seul un gouvernement démocratiquement élu pourra obtenir une grande légitimité et le soutien populaire nécessaire pour défendre les intérêts vietnamiens en Mer de Chine. Il propose un plan de démocratisation en deux étapes. Une étape préliminaire qui verrait le bureau politique du Parti Communiste Vietnamien (PCV) démissionner en bloc pour transmettre le pouvoir à l’instance populaire suprême incarnée par l’Assemblée nationale. L’Assemblée désignerait un gouvernement intérimaire. Ce dernier modifierait en profondeur toute la politique étrangère en s’appuyant sur « la morale traditionnelle nationale au profit du peuple », en faisant de la défense de l’indépendance et de la souveraineté nationales le fondement de sa politique, tout en mettant en œuvre le processus de démocratisation du régime. L’étape suivante, l’Assemblée nationale abandonnerait la constitution actuelle et organiserait la décommunisation générale des organismes du pouvoir à tous les échelons. Elle détacherait le PCV de la police et de l’armée, tout comme des activités religieuses, syndicales ou celles des groupes constitués… L’Assemblée décréterait l’avènement d’un système démocratique et libéral. L’Assemblée rédigerait la nouvelle loi électorale en faveur du pluralisme et du multipartisme. Enfin, des élections libres, justes et transparentes sous supervision internationale pourraient se dérouler. C’est à ces conditions que la défense de l’intégrité du territoire vietnamien peut être envisagée. Toujours selon lui, la question de la « Mer orientale » pourra ainsi être débattue dans une conférence rassemblant tous les pays de l’ASEAN concernés par cet espace maritime contesté en présence des 4 puissances impliquées dans la région (États-Unis, Chine, Japon et Russie, il oublie Taïwan). Cette conférence internationale donnerait naissance à un nouvel accord définissant clairement les droits de souveraineté et économique de chacun. Cette proposition du Dr Nguyen Dan Que peut prêter à sourire et son programme de démocratisation volontariste bien idéaliste. Elle rejoint sur biens des points les questions débattues par des blogueurs et journalistes indépendants. Chacun de ces contestataires de penser que le gouvernement actuel, ligoté par la Chine, ne peut plus se porter garant de l’intégrité nationale.

  • Se repositionner, sortir du giron chinois

[DIAPO 8 : Pham Chi Dung] Cela fait déjà plusieurs mois que des blogueurs ont exposé leur désir de voir un changement de direction dans la politique diplomatique de leur pays. En clair, il s’agit d’abandonner les deux slogans politiques chinois « Phương Châm 16 Chữ Vàng » et « Tinh Thần 4 Tốt » (« voisinage amical, coopération globale, stabilité à long terme, en direction de l’avenir »). Ceux-ci, acceptés par le Politburo vietnamien lors de la fixation de la frontière à partir de 1999, fondent l’approche officielle et sont repris textuellement dans les médias vietnamiens pour qualifier les relations particulières entre les deux pays.

L’intellectuel Tran Trung Dao, poète et informaticien, se demande comment le Viêt-Nam peut-il battre la Chine ? Se basant sur le fait qu’aucun empire n’est immortel, et donc peut s’effondrer, il met en avant quatre conditions pour sortir du giron chinois : la première implique que le Viêt-Nam se démocratise avant la Chine (la même idée est reprise par la blogueuse Song Chi). Si la plupart des analystes du Viêt-Nam estiment que la démocratie peut s’avérer une solution efficace pour défendre l’intégrité du territoire vietnamien, Tran Trung Dao pense qu’elle sera aussi un outil pour vaincre la Chine. Cette démocratie doit se mettre en place rapidement avant qu’un conflit armé n’éclate en Asie qui donnerait l’avantage à la Chine. Selon M. Dao, la Chine populaire n’est pas effrayée par la puissance militaire des États-Unis ou la bombe atomique mais par la démocratie et s’inquiète beaucoup, dans sa cour arrière, de l’évolution du Viêt-Nam. « L’arme démocratique », ce sont les termes employés, provoquerait une réaction en chaîne menant à l’effondrement du système communiste chinois. L’éclatement de l’empire en plusieurs territoires ne permettrait pas à la Chine de s’occuper des îles lointaines des Paracels ou des Spratleys. Le second point concerne l’union nationale vietnamienne. La démocratie permettrait d’obtenir un large soutien international avec cette condition essentielle de l’union nationale. Sans cette dernière, aucun peuple ne peut vaincre. Mais le nationalisme préconisé par Tran Trung Dao doit reposer sur des bases humanistes et non pas verser dans l’extrémisme, le racisme ou la caricature. Le troisième point consisterait pour le Viêt-Nam d’activer une nouvelle stratégie nationale pour se repositionner sur le plan international. Il s’agit d’éviter à tout prix l’isolement du Viêt-Nam et d’inscrire le pays dans de nouvelles alliances militaires clairement définies. Sa neutralité actuelle le dessert. Enfin, la quatrième condition va dans le même sens puisqu’il préconise que le Viêt-Nam fasse le choix crucial de l’alliance militaire la plus sûre sur le modèle du Japon, des Philippines ou de la Corée du Sud ce qui revient à dire en langage décodé que seule une alliance américano-vietnamienne serait viable. Cependant, M. Dao, un rien désabusé, ne prévoit pas de changement possible au niveau de l’État-Parti, il en appelle finalement aux 90 millions de Vietnamiens à prendre leur destin en main.

Parmi les voix officielles relayées par la dissidence qui se sont fait entendre sur les solutions de sortie de crise, Mme Pham Chi Lan, experte économique du Viêt-Nam et conseillère de haut-rang dans l’appareil d’État, a souligné l’opportunité à saisir à l’issue de cette crise pour reconsidérer la politique économique de la Chine au Viêt-Nam. Elle propose un rééquilibrage avec le développement de nouveaux partenariats économiques avec de nouveaux pays afin de rendre l’économie vietnamienne plus indépendante c’est-à-dire moins dépendante de la Chine. Elle n’est pas tendre pour cette dernière qu’elle accuse de « procédures sales » dans leurs relations commerciales ou économiques avec le Viêt-Nam.

  • Lutter jusqu’au bout et manifester pacifiquement

[DIAPO 9 : Tan Dai Viet] Deux partis politiques interdits au Viêt-Nam ont rédigé des déclarations pour protester contre l’implantation de la plateforme chinoise HD 981. Le premier, le Tân Đại Việt (Néo Dai Viet), fondé à Saigon en 1964 mais interdit depuis 1975, principalement implanté aux États-Unis et en Europe, entend réagir devant « la catastrophique perte du pays » (đại họa mất nước). En cinq points, il condamne l’agression chinoise, interpelle l’opinion internationale sur la violations des droits maritimes par la Chine, condamne la faible réaction des autorités communistes vietnamiennes exigeant de leur part des mesures énergiques pour porter l’affaire devant un tribunal international, en appelle à la solidarité internationale et enfin, dans son cinquième point, se prépare avec les compatriotes à la lutte commune autour du mot d’ordre « Contre la Chine, éliminer les Communistes Vietnamiens » (Chống Tàu Diệt Việt Cộng). La déclaration est guerrière et rappelle les campagnes anticommunistes meurtrières organisées au Sud Viêt-Nam entre 1955 et 1975 pour éradiquer la résistance antigouvernementale ou antiaméricaine. Elle est de toute évidence une posture pour se démarquer de la propagande antichinoise promue par Hanoi. Elle reflète néanmoins l’état d’esprit d’une partie de la communauté exilée qui estime que seul un soulèvement populaire pourra débarrasser le pays du totalitarisme. Mis en cause par le pouvoir communiste d’être derrière les violences de Binh Duong, le parti Việt Tân, quant à lui, a immédiatement réagi dénigrant ces accusations sans fondement et réaffirmant son attachement à la lutte non violente (Đấu tranh bất bạo động) dans un communiqué de presse en ligne en date du 18 mai 2014. Cette aspect clé de la lutte est pour lui « la seule façon de ne pas pénétrer dans l’arène de la violence sur laquelle le régime détient la supériorité absolue ». C’est aussi la voie « la plus civilisée, la plus humaniste à l’aube du XXIe siècle ».

Les organisations anticommunistes vietnamo-américaines poursuivent leur manifestations sur des mots d’ordre autant antichinois qu’anti-gouvernementaux, la prochaine en date du mardi 27 mai se rassemblera autour de cinq slogans assez similaires de ceux du Tân Đại Việt [manifestation annulée depuis]. Sont mentionnés en prime le danger de la « sinisation » du Viêt-Nam et la « complicité » du PCV dans l’agression chinoise.

[DIAPO 10 : Pham Thanh Nghien] A l’intérieur du pays, le régime communiste nourrit cette contradiction interne qui est de promouvoir l’activisme à l’étranger pour porter la voix du Viêt-Nam sur le plan international et d’empêcher les gens de manifester dans le pays. On ne sait aujourd’hui si cette option pourra tenir longtemps. Sur son blog, la jeune dissidente Pham Thanh Nghien, assignée à résidence à Haiphong, s’interrogeait le 18 mai sur la violence étatique : « Il y a une chose que je ne peux comprendre : pourquoi, à l’heure où la patrie est en danger, que la seule porte de sortie pour sauver la Nation de la disparition est de s’appuyer sur la force du peuple, le gouvernement communiste maintient sa politique d’emprisonnement, de mépris, de vengeance et d’oppression contre l’expression du patriotisme ». Les dissidents vietnamiens mettent en garde le pouvoir contre la colère croissante du peuple si l’interdiction des rassemblements antichinois est maintenue. L’exaspération est difficilement contrôlable comme le démontre l’immolation par le feu, le vendredi 23 mai à l’aube, de la bouddhiste Le Thi Tuyet Mai (Dong Xuan) devant ce lieu hautement symbolique que représente le Palais de la Réunification. Toutes les associations de la société civile sont d’accord sur la nécessité de manifester pacifiquement (Pham Chi Dung, Nguyen Tien Trung). Ceci pose de nouveau la question soulevée il y a plusieurs années déjà d’une loi sur le droit de manifester, un sujet remis à l’ordre du jour par le député Duong Trung Quoc.

Cu Huy Ha Vu fait la synthèse contestataire

[DIAPO 11 : Cu Huy Ha Vu] L’analyse des événements par Cu Huy Ha Vu repose sur le ressentiment antichinois ancestral des Vietnamiens. Il y a cette idée chez certains intellectuels et politiciens (également au sein du parti) du danger permanent que représente la Chine (voir encore la dernière déclaration publique de Duong Trung Quoc). Ils évoquent la lutte multiséculaire et la période de domination chinoise. Pour M. Vu, porter l’affaire au niveau international n’apparaît pas comme une solution viable car la Chine n’acceptera jamais de reculer sur ce sujet. Cela fera donc perdre un temps précieux au Viêt-Nam. Le Viêt-Nam est engagé dans une course contre la montre pour changer sa politique intérieure et extérieure. Le gouvernement s’inscrit dans le long terme, sur une durée indéterminée, alors que la dissidence demande des mesures urgentes donc un très court terme. Cu Huy Ha Vu préconise une alliance militaire immédiate avec les États-Unis, la seule grande démocratie capable de mettre un frein aux ambitions de la Chine. De son côté, Nguyen Sinh Hung, le président de l’Assemblée nationale souligne que la politique gouvernementale envers la Chine doit à la fois être « souple et dure » ce qui revient à dire, selon ses détracteurs, qu’elle n’est pas clairement définie.

Quant à la perte du Parti en tant que formation politique unique et omnipotente, d’aucun considèrent que seul le territoire national compte, les régimes politiques quels qu’ils soient, passent. D’autres dissidents résument l’attitude du pouvoir actuel par cette formule frappante « Thà mất nước chứ không mất đảng » (Plutôt sacrifier le pays que le parti)… De nombreux citoyens partage ce sentiment de la trahison du pouvoir. Une société qui ne peut manifester est une société « cliniquement morte » (chết lâm sàng) répondait la fille d’un manifestant âgé interdit de sortir de chez lui (site Việt Tân). Selon Cu Huy Ha Vu (mais il n’est pas le seul à le penser), le changement passera par la violence si le gouvernement vietnamien n’écoute pas les aspirations du peuple. Cette éventualité que personne ne souhaite à vrai dire reste plausible. La mise en garde imprécatoire de l’avocat dissident est sérieuse.

* * *

Depuis la réunification, l’analyse des faits démontrent que le maintien du PCV à tous les échelons de la société freine aujourd’hui de nombreuses potentialités de la société vietnamienne. L’éducation en pâtit, la liberté académique, la liberté de penser (plus de 212 prisonniers de consciences selon la FIDH), de manifester pacifiquement, tous ces éléments engendrent des frustrations et provoquent chaque année la fuite des cerveaux. A l’ombre du PCV, il est difficile de construire en refusant la corruption et d’élaborer librement un projet car une ligne rouge invisible est toujours active. Il y a encore trop de tabous, de cicatrices à refermer. Le PCV a hérité en 1975 d’une société aux identités plurielles (politiques, sociales, religieuses, culturelles) qu’il a d’abord espéré pouvoir rééduquer selon les critères de sa révolution missionnaire. Il a finalement appris à l’accepter mais il reste une tension permanente entre cet état de fait et la nature du régime politique. Près de quarante ans après la guerre civile, aucune réconciliation officielle n’est intervenue. Tous les actes allant dans ce sens ont été initiés par la société civile ou les organisations religieuses. Les héros des uns font toujours le malheur des autres. L’État-Parti doit prendre en compte cette réalité qui pèse encore sur le quotidien des familles.

[DIAPO 12 : Ly lich gia dinh] Prenez l’exemple d’une demande officielle pour adhérer au parti unique. Nous sommes encore dans la rhétorique de la guerre avec une discrimination sociale et politique sur plusieurs générations. Il y a toujours ceux qui sont du côté du pouvoir et qui ont raison et ceux qui ont tort, les « ngụy » (fantoches), les « thù địch » (adversaires), les « phản động » (réactionnaires), l’ennemi intérieur logé au sein du corps social qui voudrait répandre le chaos. Cette vision binaire, caractéristique des régimes autoritaires, repose sur le vieux crédo léniniste de la purge sociale permanente. Il fait encore beaucoup de mal à la société vietnamienne. Ceci créé des tensions, des divisions, nourris des amertumes dans les histoires familiales et engendrent des réactions radicales. Il faut entendre la voix des paysannes « indignées » (dân oan) et celle des intellectuels issus des rangs du parti (le général Tran Do décédé en 2002, l’avocat Cu Huy Ha Vu, l’ancien officier de l’armée populaire et journaliste Pham Chi Dung, l’ancienne policière Ta Phong Tan…) pour évaluer l’ampleur du ressentiment face à l’injustice et à la corruption souvent liés aux groupes d’intérêts politico-économiques organisés au sein de l’appareil communiste et aujourd’hui taxés de collusion avec la Chine communiste.

Conclusion

  • Réconcilier
  • Réformer
  • Démocratiser

[DIAPO 13] La crise actuelle offre à de nombreux experts internationaux et/ou spécialistes de la région (Carl Thayer, Jonathan London, Murray Hiebert, Laurent Gédéon…) l’occasion d’affiner leurs analyses sur le danger potentiel d’une guerre limitée entre plusieurs belligérants de cet espace maritime fortement contesté. Les cartes peuvent en effet être redistribuées à travers de nouvelles alliances militaires. Cette crise est aussi une formidable occasion pour la dissidence vietnamienne de repenser sa stratégie et de construire son discours politique pour trouver des solutions viables et des alternatives envisageables. Coup d’État militaire par une faction patriotique de l’armée, renversement populaire violent, chute de l’intérieur sous la pression pacifique de la rue et sous l’effet de la détérioration du système policier (comme en RDA), réforme radicale initiée par le pouvoir actuel, démocratisation progressive du régime, toutes les options restent ouvertes pour mener le Viêt-Nam sur le chemin d’une nouvelle ère démocratique ou d’un second « Doi Moi » (Renouveau). Une évolution inverse peut être également plausible avec le renforcement de la faction pro-chinoise du PCV, l’intensification de la répression, l’interdiction de manifester, le blocage des réseaux sociaux, la baisse de la revendication territoriale et le règlement de la question au niveau bilatéral dans le plus grand secret. L’entre-deux probable est une solution « nửa vời », insuffisante et inachevée, visant à calmer le jeu et à reporter les problèmes cruciaux du moment au lendemain.

Comme vous avez pu le constater rien n’est simple et demandera de la part de celles et ceux qui mèneront ce combat une extrême lucidité, du pragmatisme, de l’expérience et une vision politique sur le long terme. La transition démocratique est une épreuve que beaucoup redoutent car potentiellement porteuse de désordres. Du côté du pouvoir vietnamien, l’État-Parti ne peut plus se permettre d’être aussi répressif que par le passé. Dans son évolution pragmatique, le PCV, véritable maître du jeu, aurait tout intérêt à favoriser la liberté d’expression et l’émergence de « think tanks » sur ces sujets complexes. Il pourrait tout à fait offrir des tribunes libres dans les quotidiens en ligne les plus en vues pour favoriser l’échange d’idées et le renouvellement de la pensée. Cela aurait le double avantage de recueillir les meilleures idées et de réintégrer au sein de la communauté nationale les intellectuels les plus critiques au lieu de les cantonner en marge des affaires publiques alors qu’ils possèdent aujourd’hui une notoriété internationale indéniable. Cela permettrait une transition politique en douceur mais demanderait du courage. En outre, d’accepter de libérer toutes celles et ceux qui ont exprimé des idées patriotiques et tenté de dessiner une « autre voie » pour le Viêt-Nam. Sans quoi le transnationalisme oppositionnel émergeant aura bien des chances de se développer.

[DIAPO 14] Le PCV devra un jour où l’autre mettre en œuvre la réconciliation nationale officielle, parfois timidement exprimée, mais jamais réalisée. Le 30 avril 2015 pourrait être décrété « Jour de réconciliation » pour ne plus signifier la victoire des uns sur les autres. De la sorte, la devise « Indépendance, Liberté et Bonheur », paradoxalement inspirée du triple démisme chinois (doctrine de Sun Yat-sen et devise du VNQDD, le Parti National du Viêt-Nam [interdit]), retrouvera tout son sens ou, si un changement radical s’opère, elle sera remplacée par une autre, plus conforme aux idéaux d’humanisme et de progrès fondement de l’identité nationale vietnamienne qui ont été ceux des lettrés modernistes du début du XXe siècle.

[DIAPO 15] Je vous remercie pour votre attention.

Guillemot_VietnamUrgenceDémocratique_24-05-2014

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Documents de référence :

Pour citer cet article :

Guillemot, François (27 mai 2014), « ‘L’urgence démocratique’ : le regard de la dissidence sur la crise sino-vietnamienne », Mémoires d’Indochine [carnet de recherche] : http://indomemoires.hypotheses.org/14938 (Page consultée le …).


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